Le 6 octobre 1976, sur le coup de midi, un appareil de la Cubana de Aviación s’écrasait en mer, cinq minutes à peine après avoir décollé de la Barbade, une petite île entre mer des Caraïbes et océan Atlantique.
Bilan : 73 morts. 57 Cubains, 11 Guyanais et 5 Nord-Coréens.
Cette catastrophe aérienne, 44 ans après, pourrait se résumer à la froideur clinique de ces quelques chiffres. Mais ce qui s’est passé ce jour-là mérite qu’on s’en souvienne.
Le vol 455 de la compagnie aérienne cubaine à destination de La Havane avait décollé du Guyana puis avait fait escale à Trinidad et à La Barbade. A bord, l’ambiance devait être à la fête : parmi les passagers se trouvaient 24 jeunes Cubains, toute l’équipe junior d’escrime qui venait de décrocher 5 médailles aux Championnats d’Amérique Centrale et des Caraïbes, leurs entraîneurs et le directeur de l’Inder (Institut National des Sports), Manuel Permuy Hernández. On imagine la joie de ces gamins, qui voyaient s’ouvrir devant eux un avenir sportif mirifique… Et nul doute que les membres de l’équipage, jeunes eux aussi (le pilote n’avait que 36 ans!) devaient partager cette joie, tout comme les 11 jeunes Guyanais, boursiers de l’OMS, qui partaient poursuivre leurs études de médecine à Cuba. Apparemment, la porte de la cabine de pilotage était ouverte, pour permettre à l’équipage de partager la fête…
L’euphorie n’avait pas duré bien longtemps. A 12h38, une double explosion secouait l’appareil. A l’aéroport de La Havane où on s’apprêtait à accueillir les héros des Jeux, on entendit à la radio la voix de Felix Pérez, le pilote qui hurlait : « Tenemos una explosion a bordo ! Estamos descendiendo inmediatamente ! (nous avons une explosion à bord ! Nous descendons immédiatement !)» Puis des voix qui criaient : « Cierren la puerta, cierren la puerta !(fermez la porte, fermez la porte !) ».
Quelques instants de confusion totale, puis la voix angoissée du pilote : « Tenemos fuego a bordo, repito : tenemos fuego a bordo ! (nous avons le feu à bord, je répète : nous avons le feu à bord !)»
Et celle du copilote, Manuel Espinosa : « Eso es peor, Felo, pégate al agua! (C’est pire, Felo, colle-toi à l’eau !»
Puis plus rien. Désespérément rien. L’avion est tombé.
Il y a une grosse dizaine d’années, à la Fête de l’Huma, nous étions en pleine bataille pour la libération des Cinq de Miami, ces 5 Cubains prisonniers politiques aux USA. France-Cuba avait rédigé une pétition et les gens avaient signé de bon cœur. Je m’étais installée dans un coin du stand de Granma et je discutais avec une jeune Cubaine, arrivée avec la délégation représentant Cuba, tout en rangeant mes feuilles de pétition. Elle s’appelait Odalys, un prénom pas très courant. La conversation avait porté sur les Cinq et les attentats que leur action avait évités, avec leur cortège de deuils et de souffrance, et j’avais évoqué l’attentat de la Barbade. Elle m’avait regardée et m’avait dit tout simplement : « Mi papá era el piloto (mon papa était le pilote) »…
Son papa, c’était Félix Pérez. Elle avait sept ou huit ans. Il lui avait promis qu’à son retour il l’emmènerait à la plage, et pourtant il détestait l’eau…
Mais un certain Orlando Bosch avait organisé l’attentat qui l’a privée de la plage et de son père. C’est ce même Orlando Bosch qui, quelques années plus tard, sera responsable de l’attentat qui coûta la vie à Fabio Di Celmo, à La Havane, et qui avait organisé la pose des deux bombes contre l’avion de la Cubana.
Interrogé beaucoup plus tard par une journaliste étasunienne sur sa responsabilité dans l’attentat de La Barbade, le terroriste avait répondu cyniquement : « Pusimos la bomba, y qué ? (nous avons mis la bombe, et alors ?)
Et alors rien. Posada Carriles, ouvertement protégé par les USA, est mort de sa belle mort en Floride en mai 2018…
Mais chaque fois que revient le 6 septembre, j’entends la voix d’Odalys Pérez qui me disait : « Mi papá era el piloto »…
Annie ARROYO / France-Cuba