La visite du président brésilien Lula da Silva en Chine marque un événement d’une grande importance pour l’ensemble du continent latino-américain en ce qui concerne ceux qui gouvernent actuellement le monde et la situation du Brésil et de l’Amérique latine au sein de ce groupe. Après le retour du Brésil au sein de l’Union des nations sud-américaines (Unasur) et la visite du président brésilien aux États-Unis, en Argentine et en Uruguay, Lula a atterri cette semaine chez le géant asiatique, comme il l’avait annoncé depuis janvier de cette année, marquant ainsi, dans ses 100 premiers jours au pouvoir, un axe fondamental de sa politique étrangère : le renforcement et la revitalisation des blocs d’intégration régionale tels que l’Unasur et les BRICS.
En Chine, la délégation brésilienne a cherché, entre autres, à signer une vingtaine d’accords commerciaux avec le pays qui est le principal partenaire commercial du Brésil depuis 2009. Malgré les mauvaises relations entre la Chine et le précédent gouvernement de Jair Bolsonaro, en 2022, le produit brésilien le plus vendu sur le marché chinois était le soja, avec 36 % des exportations totales, suivi du fer avec 20 % et du pétrole avec 18 %. Selon Agencia Brasil, le profil des exportations a légèrement changé entre janvier et février de cette année, le pétrole arrivant en tête avec 23 % des exportations, suivi du soja (22 %) et du fer (21 %). Les accords qui seront conclus au cours de cette tournée sont très importants pour l’économie brésilienne, car ils permettront d’accroître les exportations brésiliennes vers la Chine et de renforcer les relations commerciales entre les deux pays dans les domaines du pétrole et du gaz, de l’électricité, de l’agriculture, des infrastructures, des communications, de la science et de la technologie et de la finance : les énergies renouvelables, l’échange de crédits sur la biodiversité, les partenariats visant à soutenir le développement de start-ups brésiliennes en Chine, le transfert de connaissances et la recherche scientifique dans la fabrication d’acier à faible teneur en carbone ne sont que quelques-uns des points qui commenceront à être travaillés conjointement à partir de maintenant.
Durant le séjour de Lula, a eu lieu le lancement de la nouvelle banque de développement des BRICS, dont l’ancienne présidente brésilienne Dilma Rousseff a pris la présidence. La banque est un projet ambitieux qui vise à financer des projets de développement dans les pays membres (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) et dans d’autres pays en développement. Dans le discours d’ouverture de la banque, Lula a déclaré que « la nouvelle banque de développement est apparue comme un outil pour réduire les inégalités entre les pays riches et les pays émergents, qui se traduisent par l’exclusion sociale, la faim, l’extrême pauvreté et les migrations forcées » et a poursuivi « la nouvelle banque de développement a un grand potentiel de transformation dans la mesure où elle libère les pays émergents de la soumission aux institutions financières traditionnelles, qui veulent nous gouverner sans avoir le mandat pour le faire ».
En ce sens, l’un des points importants est la conclusion d’accords avec des institutions bancaires chinoises, dans lesquels les deux pays cherchent des alternatives à la dépendance vis-à-vis du dollar comme monnaie d’échange et effectuent des transactions financières en yuans et en reais. Deux de ces accords ont déjà été signés au début du mois, comme l’a annoncé Apex : la banque brésilienne BBM, basée dans la ville de Salvador et contrôlée par la Banque chinoise des communications (BoCom), rejoint le CIPS (China Interbank Payment System), qui est l’alternative chinoise à Swift. Dans une interview accordée au journal O Globo, l’ancien ambassadeur des États-Unis au Brésil, Thomas Shannon, a répondu : « Le dollar n’est pas une monnaie mondiale parce que les États-Unis l’ont imposé, c’est une monnaie mondiale en raison de la puissance de l’économie américaine et du rôle de l’économie américaine dans le système financier et dans l’ordre économique mondial. Si le Brésil, la Chine ou les Brics veulent remplacer le dollar, qu’ils le fassent. Quelle monnaie utiliseront-ils ? La monnaie chinoise, la monnaie brésilienne ? Très bien, bonne chance ».
Au cours de sa visite, M. Lula a également eu l’occasion de visiter les installations de l’entreprise technologique Huawei, où il a rencontré ses dirigeants et s’est informé des avancées de la technologie 5G que l’entreprise est en train de développer, signe de l’intérêt du Brésil pour l’amélioration de ses relations avec la Chine dans le domaine technologique et dans d’autres domaines d’intérêt commun. « Nous avons visité Huawei pour montrer que nous voulons dire au monde que nous n’avons pas de préjugés contre le peuple chinois et que personne n’empêchera le Brésil de renforcer ses relations avec la Chine », a déclaré M. Lula devant l’entreprise chinoise, qui figure sur la US Entity List, la liste noire des États-Unis qui impose des restrictions commerciales à ceux qui y sont nommés.
« Le Brésil est de retour » … sur la nouvelle route de la soie ? Subordination ou opportunité ?
« Le Brésil est de retour » a déclaré Lula cette semaine dans le cadre de sa tournée en Chine, où il s’est rendu avec un entourage de 300 membres du secteur des affaires et de quelque 90 membres du secteur agricole.
La question est de savoir où il est revenu. Il convient ici de s’arrêter sur la contradiction qui ordonne le monde et les deux principaux blocs de pouvoir qui rivalisent pour subsumer le reste, avec deux visions et intérêts incarnés dans deux agendas politiques : celui digitalement financiarisé représenté par Huawei, basé en Chine, et celui digitalement financiarisé d’Amazon, basé aux États-Unis. À la lumière de cette caractérisation, la visite de Lula en Chine et chez Huawei, du moins en termes symboliques, pourrait commencer à marquer un choix de route pour le Brésil en particulier et l’Amérique latine en général : La route du projet Huawei financiarisé et numérisé, basé en Chine, avec des capitaux mondiaux et une grande influence du parti communiste chinois. « La nouvelle route de la soie » ou « route de la soie numérique », promue par Xi Jinping, que le président Lula a rencontré, propose de stimuler les investissements dans des secteurs technologiques cruciaux, notamment les véhicules intelligents et à énergie nouvelle, les robots, le big data, la blockchain, la recherche biologique et l’agriculture moléculaire.
Cependant, 100 jours de mandat sont trop courts pour faire une déclaration définitive, surtout si l’on tient compte de certaines dimensions telles que, d’une part, les attentes des États-Unis, deuxième partenaire commercial du Brésil, qui figuraient en premier sur la liste des visites et avec lesquels il réactivera les alliances pour la préservation de l’Amazonie, dans son rôle de champion international de la lutte pour le climat. En janvier, en pleine tentative de coup d’État, le président américain Joe Biden n’a pas hésité à apporter un soutien solide aux institutions et au gouvernement de Lula.
D’un autre côté, des vestiges du bolsonarisme persistent dans la structure de l’État brésilien au sein d’institutions clés, telles que la Banque centrale, auxquelles s’ajoute une corrélation complexe de forces au sein du Congrès.
Il est important de ne pas oublier que le Brésil est, dans la région, un acteur du mondialisme qui a son propre poids et qui a pour interlocuteurs les fractions du mondialisme américain et chinois, afin d’analyser la voie que Lula va emprunter.
Le défi est de percevoir la situation latino-américaine, le rôle du Brésil dans le continent, et de réaliser que dans les deux projets qui conçoivent le monde, les États fonctionnent comme des chaînes d’approvisionnement. Leurs fonctions sont d’acquérir des dettes, de vendre des produits, de spéculer avec des obligations et, bien sûr, de construire des palliatifs aux conditions de vie douloureuses dans lesquelles vivent les grandes majorités sociales. En Amérique latine et dans les Caraïbes, 20 % de la population concentre 83 % des richesses. Le nombre de milliardaires dans la région est passé de 27 à 104 depuis 2000. En revanche, l’extrême pauvreté augmente. En 2019, 66 millions de personnes, soit 10,7 % de la population, vivaient dans l’extrême pauvreté, selon les données de la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC). En outre, après la pandémie de Covid 19, le continent a connu une récession deux fois plus importante que celle de l’économie mondiale et a vu le nombre de personnes vivant dans la pauvreté augmenter de près de 50 millions. La fragilité des structures de production, la dépendance accrue à l’égard d’un petit nombre de produits primaires, l’affaiblissement des institutions démocratiques et la fragmentation politique qui empêche de parler d’une seule voix sur les questions mondiales sont des facteurs prédominants dans la région.
Dans le contexte de la nouvelle route de la soie et de l’Amérique latine en général, la plus grande puissance historique du continent se rapprochant de la Chine, la question se pose de savoir si cela signifiera un nouveau processus de subordination pour le peuple latino-américain ou, au contraire, la possibilité d’une meilleure position économique. Un tel résultat dépendra davantage de la possibilité de renforcer les processus d’intégration afin de parvenir à un programme politique commun dans la région que de Lula et du Brésil. La possibilité que le Brésil devienne la queue du projet Dragon ou l’émergence globale de la tête d’une Amérique latine dont les veines ont été ouvertes par tant de pillages, mais aussi par la mémoire des luttes pour son émancipation, dépend de la capacité des dirigeants politiques et des peuples latino-américains dans leur ensemble à établir une alliance claire.
Paula GIMÉNEZ, Matías CACIABUE
Source: Nodal – Traduction: Romain Migus