Grève générale contre l’insécurité au Pérou – La Línea

1 novembre 2024

L’insécurité a augmenté au Pérou. Selon l’Institut national de la statistique et de l’informatique (INEI), pendant le mandat de Pedro Castillo, 27,8 % des Péruviens considéraient la criminalité comme l’un des principaux problèmes du pays (juste derrière la corruption). En 2024, après deux ans de règne de Boluarte, ce chiffre atteint 39,4 %. De même, malgré un taux d’homicide parmi les plus bas du continent, les meurtres sont en constante augmentation depuis plusieurs années. Selon l’INEI, entre 2013 et 2023, le taux d’homicide a augmenté de 45%. Les médias ont largement couvert le sujet, y consacrant leurs premières pages et leurs journaux télévisés.

Le problème de l’insécurité citoyenne révèle la désinstitutionnalisation néolibérale et l’État défaillant qu’est devenu le Pérou. Avec un Etat réduit à son expression minimale, des autorités publiques plus préoccupées par la persécution de l’opposition que par celle des criminels, et une instabilité politique croissante, il est pratiquement impossible de répondre à cette demande publique. Ni l’anecdotique « Plan Boluarte contre l’insécurité », ni l’état d’urgence permanent n’ont réussi à freiner l’expansion de la criminalité, qui frappe de plein fouet les classes populaires.

Cette fois, la manifestations ont été organisées par un secteur peu habitué aux mobilisations sociales : celui des transports informels, victime d’extorsions et de représailles de la part du crime organisé. Dans un pays atomisé, où les biens communs ont été anéantis par trente ans de néolibéralisme, l’organisation du collectif est une épopée. D’autant plus qu’il s’agit d’un secteur d’activité où se retrouvent des travailleurs indépendants qui se perçoivent comme des « entrepreneurs », et où il n’y a pas de culture de la mobilisation et de la lutte.

De la même manière que la grève des enseignants de 2017 ou l’explosion sociale de 2022/2023, les manifestations contre l’insécurité mettent en évidence la dichotomie entre le monde du travail formel, qui devient de plus en plus minoritaire et marginal dans l’économie péruvienne (25% de l’économie), et un peuple hétérogène, produit de l’économie informelle, qui réclame des changements structurels. Une fois de plus, les syndicats, appartenant au monde du travail formel, se sont opposés ou ont minimisé la grève des travailleurs du transport, tout comme le syndicat enseignant officiel SUTEP l’avait fait en 2017 [cette mobilisation avait été menée par un certain Pedro Castillo en dehors des structures syndicales traditionnelles, NdT], ou la centrale syndicale CGTP en 2022 [lors du soulèvement populaire contre le coup d’État, NdT]. Malgré ce rejet, la grève a été un véritable succès. Les travailleurs du transport ayant été rejoint par les associations des marchés populaires, par les petits producteurs et commerçants, ainsi que par de nombreux citoyens affectés par l’insécurité. Autrement dit, par tous les collectifs qui composent ce sujet plébéien qui se mobilise depuis plusieurs années pour changer le pays.

Les leaders du mouvement qui ont émergé dans le feu de la lutte se sont rendus au Parlement. Nombre d’entre eux, qui disaient avoir voté pour les options proposées par le néolibéralisme péruvien, se sont rendu compte que cette option politique n’était pas adéquat pour répondre à leurs revendications. Les travailleurs du transport ont exigé une plus grande présence de l’État et cette expérience a conforté leurs protagonistes à la conscience d’appartenir aux classes populaires. Un « nous » populaire s’est consolidé en opposition aux élites de Lima et á la figure de l’« entrepreneur » dont beaucoup se réclamaient alors.

Les habitants du sud du pays, qui ont été les principaux acteurs du soulèvement populaire de 2022, n’ont pourtant pas rejoint ce mouvement urbain. A juste titre, ils ont objecté que l’histoire aurait été différente si les protagonistes d’aujourd’hui les avait soutenus il y a deux ans. Générer plus de désunion au sein de la fragmentation actuelle ne contribue pourtant pas à créer un front d’interêts communs contre le régime actuel. Espérons que l’atomisation pourra être surmontée. Rien n’est encore écrit.

La Línea

Source: La Línea – Traduction: Romain Migus