Avec la permission de nos dieux, de nos frères aînés et de notre Pachamama (1), de nos ancêtres, de nos achachilas (2), avec la permission de notre Patujú (3), de notre arc-en-ciel, notre feuille de coca sacrée.
Avec la permission de nos peuples, avec la permission de tous ceux qui sont présents et absents dans cet hémicycle.
Aujourd’hui, permettez-moi de prendre quelques minutes afin de partager notre vision avec vous.
La communication, le dialogue est une obligation, c’est un principe du vivre bien.
Les peuples des cultures millénaires, ceux de la culture de la vie, avons conservé nos origines depuis la nuit des temps.
Nous, les enfants, avons hérité d’une ancienne culture qui comprend que tout est lié, sans division ni exclusion.
C’est la raison pour laquelle on nous a dit de nous unir, d’aller ensemble, sans laisser tomber personne, pour que tout le monde ait tout et que personne manque de rien.
Le bien-être collectif est le bien-être individuel, aider nous aide à grandir et à être heureux, renoncer à quelque chose au profit de son prochain nous renforce. S’unir et se reconnaître dans le “tout” est la voie du passé, du présent, de demain et de toujours, cette voie de laquelle nous ne nous sommes jamais éloignés.
L’ayni (4), la minka (5), la tumpa (6), notre colka (7) et autres codes des cultures millénaires sont l’essence de nos vies, de notre ayllu(8).
Ayllu n’est pas uniquement l’organisation sociétale des être humains, ayllu est un système d’organisation de la vie, de tous les êtres vivants, de tout ce qui existe, de tout ce qui s’écoule, en équilibre avec notre planète ou notre mère, la terre.
Des siècles durant, les modèles de civilisation de l’Abyayala (9) ont été déstructurés et beaucoup d’entre eux exterminés, la pensée originelle a systématiquement été soumise à celle des colons.
Malgré tout cela, ils n’ont pas réussi à nous faire disparaître, nous sommes en vie, nous venons de Tiwanacu (10), nous sommes forts comme la pierre, nous sommes kalawawa (11), nous sommes Cholke (12), sinchi (13), Rumy (14), nous sommes Jenecherú (15), le feu qui ne s’éteint jamais, nous venons de Samaipata (16), nous sommes le jaguar, nous sommes Katari (17), nous sommes les peuples aïnous, maoris, comanches, mayas, nous sommes guaranis, mapuches, mojos, nous sommes aymaras, quechuas, jokis et nous sommes tous les peuples faisant partie de la culture de la vie, qui avons réveillé notre larama (18), le même larama qu’autrefois, un rebelle emplit de sagesse.
Aujourd’hui, la Bolivie et le monde vivons une transition qui se répète chaque 2000 ans, le cycle des temps, nous passons de l’intemporel au temporel, amorçant une ère nouvelle, un autre Pachakuti (19) dans notre histoire.
Un soleil nouveau et une nouvelle expression dans le langage de la vie, où l’empathie pour l’autre ou le bien collectif remplace l’individualisme égoïste, avec des boliviens qui se considèrent tous égaux et conscient qu’ensemble nous sommes plus forts. Le temps est venu de retourner au Jiwasa (20), il ne s’agit pas du ‘soi’ mais du ‘nous’ Jiwasa représente la fin de l’égocentrisme, Jiwasa est la mort de l’anthropocentrisme et la fin de l’eurocentrisme.
Il est temps de redevenir Jisambae (21), ce code qui a protégé nos frères et soeurs guaranis et également Jambae (22), un être qui n’a pas de maître, personne dans ce monde doit se sentir maître ou propriétaire de quiconque ou quoi que ce soit.
Depuis l’année 2006, nous avons entamé en Bolivie un travail exigeant dans le but de connecter nos racines individuelles et collectives pour redevenir nous-mêmes, nous recentrer, revenir à notre taypi (23), a la pacha (24), à l’équilibre qui laisse émerger la sagesse des civilisations les plus importantes de notre monde.
Nous sommes en plein processus de récupération de nos connaissances, des codes de la culture de la vie, des schémas de civilisation d’une société qui vivait en intime connection avec le cosmos, la terre, la nature, la vie individuelle et collective, de construction de notre sumak kamaña (25), de notre sumajakalle (26), garantissant ainsi le bien-être individuel et commun. Nous sommes en période de récupération de notre identité, notre racine culturelle, notre sake (27), nous avons cela, nous avons une philosophie, une histoire, nous avons de tout, nous sommes des êtres humains et nous avons des droits.
Une des références inébranlables de notre civilisation est la sagesse héritée des connaissances liées à la terre, garantir l’équilibre en tous temps et espace. C’est savoir comment gérer toutes les énergies complémentaires, celle cosmique venant du ciel avec celle qui émerge du centre de la terre.
Ces deux forces telluriques interagissent en créant ce qu’on appelle la vie, un ‘tout’ composé de ce qui est visible, Pachamama et spirituel, Pachakama (28).
En appréhendant la vie du point de vue des énergies, nous avons la possibilité de modifier notre histoire, la matière et la vie, telle la convergence de la force chachawarmi (29) lorsque l’on se réfère à la complémentarité des opposés.
Les temps nouveaux que nous commençons seront soutenu par l’énergie de l’ayllu, la communauté, les consensus, l’horizontalité, les équilibres complémentaires et le bien commun.
Historiquement, on entend la révolution comme un acte politique pour changer la structure sociale pour ainsi transformer la vie de l’individu, aucune des révolutions a réussi à modifier la conservation du pouvoir pour maintenir le contrôle sur les personnes.
Il n’a pas été possible de changer la nature du pouvoir, cependant le pouvoir lui a réussi à déformer l’esprit des politiciens, il a pu les corrompre. Il est très difficile de modifier l’influence du pouvoir et de ses institutions mais c’est un défi que nous relèverons avec la sagesse de nos peuples, notre révolution est une révolution des idées, elle est une révolution des équilibres car nous sommes convaincus que pour transformer la société, le gouvernement, la bureaucratie, les lois et le système politique, nous devons nous transformer en tant qu’individus.
Nous allons promouvoir les conjonctions avec l’opposition afin de chercher des solutions entre la gauche et la droite, la jeunesse rebelle et la sagesse des anciens, entre les limites de la science et la nature sans faille, les minorités créatives et les majorités traditionnelles, entre les malades et ceux qui ne le sont pas, les gouvernants et les gouvernés, entre leadership et don de soi pour servir les autres.
Notre vérité est très simple, le condor prend son envol à la seule condition que son aile droite soit en parfait équilibre avec son aile gauche. La tâche de nous former pour devenir des êtres équilibrés a été brutalement interrompue il y a des siècles de cela, nous n’avons pu la mener à bien mais à présent l’heure de l’ère de l’ayllu, la communauté, est arrivée et est avec nous.
Cela implique que nous soyons des individus libres et équilibrés pour construire des relations harmonieuses avec les autres et notre entourage, il est urgent que nous soyons des êtres aptes à maintenir les équilibres pour soi et la communauté.
Nous sommes à l’époque des frères de la apanaka pachakuti (30), nous ne luttions pas seulement pour nous mais aussi pour eux et surtout pas contre eux, nous luttions pour obtenir un mandat, nous ne cherchions pas l’affrontement, au contraire, nous cherchions la paix. Nous n’appartenons pas à la culture de la guerre, ni de la domination, notre lutte vise toute tentative de soumission et combat la pensée unique coloniale, patriarcale, qu’elle vienne d’où elle vienne.
L’idée de la rencontre entre l’esprit et la matière, le ciel et la terre, Pachamama et Pachakama, nous permet de penser qu’une femme et un homme nouveau puissent guérir l’humanité, la planète et la sublime vie qui la compose, pour rendre la beauté à notre terre-mère.
Nous défendrons les trésors sacrés de notre culture face à toute ingérence, nous défendrons nos peuples, nos ressources naturelles, nos libertés et nos droits.
Nous retournerons à notre Kapak Ñan (31), le noble chemin vers l’unité, la voie du respect envers nos autorités, pour nos soeurs, le chemin du respect pour le feu, la pluie, le respect de nos montagnes, nos rivières, notre mère la terre, le chemin vers le respect de la souveraineté de nos peuples.
Frères et soeur, pour conclure, les boliviens devons surmonter la division, la haine, le rascisme, la discrimination entre compatriotes, finissons-en avec la persecution de la liberté d’expression et la judiciarisation de la politique.
Finissons-en avec l’abus de pouvoir, celui-ci doit être employé pour aider, le pouvoir doit circuler, comme l’économie, il doit être redistribué, il doit circuler, s’écouler, comme le sang s’écoule dans notre organisme. Plus d’impunité mais justice, frères et soeurs.
Mais la justice doit véritablement être indépendante, mettons un terme à l’intolérance, à l’humiliation et la violation des droit humains et de la terre-mère.
Le temps nouveau signifie être à l’écoute du message de nos peuples et qui a été émi du fond de leurs coeurs, cela signifie guérir des blessures, nous regarder avec respect, récupérer la patrie, rêver ensemble, construire la fraternité, l’harmonie, l’intégration et l’espoir afin de garantir la paix et le bonheur des générations à venir.
C’est uniquement de cette manière que nous atteindrons le vivre bien et la gouvernance par nous-mêmes.
Vive la Bolivie!
Jallalla (32) !
David CHOQUEHUANCA
Traduction et notes: Christian Saavedra Salomon
Notes:
- Pachamama : Terre-Mère.
- Achachilas : Esprits des aïeux qui protègent la communauté.
- Patujú : Plante dont la fleur, aux couleurs du drapeau de la Bolivie rouge, jaune et vert, est un symbole national.
- Ayni : principe de réciprocité et de solidarité générale.
- Minka : tradition du travail collectif à des fins sociales.
- Tumpa : protocole d’invitation, d’invocation des esprits sacrés et des défunts
- Colka : grand entrepôt où sont stockés des aliments principalement.
- Ayllu : communauté composée de plusieurs familles dont les membres considèrent qu’ils ont une origine commune (filiale ou religieuse) qui travaille de façon collective dans un territoire de propriété commune.
- Abyayala : nom que le peuple Kuna utilise pour se référer aux Amériques.
- Tiwanacu : désigne le lieu considéré comme berceau de la civilisation pré-inca du même nom.
- Kalawawa : transparent, sans rien à cacher.
- Cholke : graîne incassable, traditionnellement accrochée autour du cou des nouveaux-nés.
- Sinchi : forts, courageux.
- Rumy : durs à cuire.
- Jenecherú : mot d’origine tupiguarani qui signifie « feu qui ne s’éteint jamais »
- Samaipata : nom du lieu où s’élève le mystique et mystérieux rocher sculpté de Samaipata.
- Katari : divinité représentée par un serpent ailé, symbolisant la vitalité de l’eau qui irrigue les terres agricoles et permet l’existence des communautés.
- Larama : nom donné aux sages, philosophes et scientifiques.
- Pachakuti : « changement de la terre », arrivée d’un temps nouveau, retour à l’équilibre, à l’égalité originelle.
- Jiwasa : un tout, composé de singularités.
- Jisambae : communication codée qui aida le peuple Guaraní à se protéger
- Jambae : individu libre, qui n’a pas de maître.
- Taypi : noyau ou centre de la terre, point de rencontre des forces positives et négatives, lieu où les opposés, l’antagonisme coexiste.
- Pacha : terre, cosmos, univers, temps et espace.
- Sumak kamaña / vivir bien : concept du vivre bien.
- Sumajakalle : action de garantir le bien individuel et le bien collectif ou communautaire.
- Sake : racine culturelle.
- Pachakama : univers spirituel, en complément à Pachamama.
- Chachawarmi : complémentarité des opposés, dualité et harmonie.
- Apanaka pachakuti : comprenez les frères de l’opposition politique.
- Kapak Ñan : Voie véritable, le juste chemin. Aussi employé pour désigner le fameux réseau de routes qui traversait l’empire Inca.
- Vive!