Ils ont gagné. Avec le pire des leurs, avec le plus grossier des leurs. Qui n’a jamais modéré son discours, qui a proposé de vendre des organes et des enfants, qui a comparé l’État à un pédophile, qui a pris comme vice-présidente la partie la plus sombre de notre histoire, celle que l’on croyait enfermée dans le tiroir des souvenirs. Malgré cela, ils ont gagné.
C’est la résultat du vote anti-péroniste et l’épuisement d’un modèle d’accumulation : la croissance sans redistribution. Le libéralisme à visage humain et rock-n-roll des années 1970 proposé par Alberto Fernández s’est terminé en tragédie. La primauté de la méthode a rongé le capital politique initial du capitaine Beto (1) : une tentative de gouverner par le dialogue avec une opposition qui réclamait du sang et une société qui exigeait de la stabilité. Nous avons péché en ayant raison, les justes ont payé, les pécheurs ont triomphé.
Le peuple n’a pas demandé le dialogue. Il a demandé des solutions. Nous avons offert la modération et le changement par étapes. Nous avons été écartés et nous avons continué. Rien de grand ne peut se faire sans rébellion et la rébellion a été récupérée par la droite. Le péronisme est devenu la défense d’un statu quo complexe et inégal, plus officiel que militant. La gestion nationale s’est éloignée des problèmes du peuple : les localismes ont triomphé, tandis que les solutions globales ont été gommées. On a parlé de Lawfare à des gens que la misère rattrapait.
Résistance et résilience. Une longue histoire de lutte pour notre peuple. Ce ne sera ni la première ni la pire nuit que nous ayons connue. Le camp populaire contrôle des espaces de pouvoir et de résistance : les syndicats, les mouvements sociaux, plusieurs mairies et la province stratégique de Buenos Aires. La question de la représentation du péronisme renaît, le besoin d’un leadership sans cravate qui exprime le leadership et la capacité, qui charme, qui affronte et ne spécule pas, qui conteste le sens (2).
Nous sommes en train de le perdre : l’inflation est devenue un phénomène holistique. Elle a cessé d’être simplement économique et est devenue un problème social qui modifie les pratiques. C’est un fait qui pèse sur les chiffres de l’emploi, de la croissance et de la consommation. Une consommation angoissante et inégale : alors que nous avions les indicateurs les plus bas depuis des années en matière de consommation de viande, le tourisme intérieur faisait exploser les hôtels et les restaurants. La classe moyenne vacille, les pauvres sont de plus en plus pauvres. L’argent brûle les doigts.
Pendant longtemps, on nous a dit que le modèle du néolibéralisme dans la région était le Chili. Mais ce n’est pas le cas : sa référence directe est le Pérou. Au pays des Incas, il y a un système de croissance sans redistribution, mais là, ils ont réussi quelque chose de plus profond : ils ont détruit les médiations, se sont débarrassés des syndicats, ont balayé les organisations sociales et les partis nationaux. Le nouveau modèle de la droite locale vient dynamiter la représentation, séparer la sphère sociale de la politique, faire de la démocratie un gros mot. Il faut se préparer pour ce qui vient. Une des tâches les plus importantes sera de maintenir nos espaces collectifs.
A Cordoba, le corporatisme provincial a une nouvelle fois servi de substrat à l’anti-péronisme. Dans la deuxième ville la plus peuplée du pays, Milei a tout balayé : 75% des voix. Dans la province de Buenos Aires, l’écart a été plus faible que prévu : un point et demi pour Massa, un écart plus faible qu’en 2015. Dans la ville de Buenos Aires, Unión por la Patria a réalisé une grande performance : 42% des voix dans la ville la plus riche et la plus inégalitaire du pays, au-dessus des chiffres péronistes à Santa Fe, Entre Ríos, Mendoza, Jujuy, San Juan, Chubut et Santa Cruz. Formosa a été, est et sera le tombeau du fascisme : De La Rúa n’y a pas gagné, pas plus que Macri, et cette fois Milei n’a pas gagné non plus.
La campagne de Massa a été excellente : il a parlé d’une seule voix, avec assurance, et capacité de gestion. Une campagne soignée. Il a fait le maximum pour le candidat qui est le ministre de l’économie d’un gouvernement où l’inflation est de 140 %. La question est plus ancienne et consiste à savoir si Massa était la meilleure expression de l’antagonisme avec Milei. Honnêtement, il semblait complexe que l’ancien président des libéraux provinciaux, interlocuteur de l’ambassade des USA et charmeur d’anti-péronistes, devienne l’expression vertueuse de la résistance au néolibéralisme. C’était le représentant d’un secteur minoritaire du péronisme, chargé de donner un visage et une ligne au mouvement national et populaire.
Il ne nous reste plus qu’à parier sur le collectif, et soutenir des espaces d’organisation. Résister dès le premier jour. La bataille est très longue et notre peuple a une profonde accumulation de résistance. Cela ne fait que commencer.
Yair CYBEL
Note du traducteur:
(1) Référence á la chanson « El anillo del capitán Beto », du groupe de rock argentin des années 70, Invisible
(2) Sans le nommer, l’auteur semble faire référence à Axel Kicillof, le gouverneur de la province de Buenos Aires, adoptant un style plus informel que Sergio Massa et ses costumes.
Source: El Grito del Sur – Traduction: Romain Migus
