A une semaine des élections, deux candidats sont les mieux placés dans les sondages : Santiago Peña, de la droite néolibérale au pouvoir, et Efraín Alegre, à la tête d’une alliance hétéroclite qui va du Front Guasú [coalition de partis de gauche] au parti conservateur Partido Patria Querida, en passant par les sociaux-libéraux du Partido Encuentro Nacional, ou les progressistes du Partido Revolucionario Febrerista, entre autres organisations qui font de l’alliance anti Parti Colorado.
Il n’y aura pas de ballottage entre les deux principaux candidats les mieux placés dans les sondages et loin derrière les autres : Santiago Peña, du parti Colorado au pouvoir, et Efraín Alegre, de la Concertación. Le 15 août, l’un d’entre eux prendra ses fonctions jusqu’en 2028. En outre, 17 gouverneurs seront élus dans tous les départements, 45 sénateurs et 80 députés.
Dans un pays caractérisé par de profondes asymétries, avec la plus grande population rurale d’Amérique du Sud et une hégémonie politique historique du parti Colorado, c’est la deuxième fois que l’opposition a une réelle chance de l’évincer du gouvernement. La dernière fois, c’était en 2008, lorsque l’évêque Fernando Lugo a interrompu 61 ans de continuité du règne du parti Colorado, dont la longue dictature d’Alfredo Stroessner (1954-1989).
Le candidat de Cartes
La candidature de Peña est le fruit de la campagne électorale interne du parti Colorado où il a battu l’ancien évêque évangélique Arnoldo Wiens, soutenu par l’actuel président, Mario Abdo Benítez. Avec le soutien de l’omniprésent Horacio Cartes, l’ancien président qui a gouverné entre 2013 et 2018, son ancien ministre des finances, âgé de 44 ans, tentera de maintenir la principale force de droite au Palais Lopez.
Fait curieux, Peña a été membre du Parti libéral radical authentique (PLRA), auquel Alegre appartient durant 21 ans, jusqu’à ce qu’il rejoigne l’Association nationale républicaine (ANR) – nom officiel du parti Colorado – en 2016. À l’époque, il était déjà un représentant du milliardaire Cartes, un banquier, propriétaire de médias et homme d’affaires dans les secteurs de l’alimentation et du tabac qui contrôle environ 70 entreprises et que les États-Unis ont sanctionné pour corruption.
La mesure a été appliquée par l’Office of Foreign Assets Control (OFAC) du département du Trésor. Dans un document daté du 26 janvier, il est indiqué qu’il « s’est livré à des actes de corruption avant, pendant et après son mandat de président du Paraguay ». Les États-Unis s’arrogent souvent de tels pouvoirs extraterritoriaux, avec ou sans preuves. Une mesure similaire a également été prise à l’encontre de l’actuel vice-président du pays, Hugo Velázquez, pour « participation à une corruption systématique qui a sapé les institutions démocratiques du Paraguay ».
Alegre se présente à la tête d’une alliance de quatorze partis et concourra pour la troisième fois consécutive à la présidence. L’ancien ministre des travaux publics de l’évêque Fernando Lugo a perdu en 2013 face à Cartes et en 2018 face à Benítez. Mais il est aujourd’hui mieux placé dans les sondages. Une partie considérable du soutien politique qu’il reçoit provient du Front Guasú, la mosaïque de forces progressistes qui a mis fin à l’hégémonie du Parti Colorado entre 2008 et 2012 et qui ne se présente qu’aux élections législatives. Aujourd’hui, cependant, le Frente Guasú est divisé entre le soutien à Efrain Alegre et un candidat qui pourrait jouer le rôle d’arbitre dans l’élection : Euclides Acevedo, ancien ministre de l’intérieur de l’actuel président, mais qui a également été fonctionnaire dans d’autres gouvernements du parti colorado [le candidat à la présidence de Euclides Acevedo n’est autre que Jorge Querey, sénateur du…Frente Guasú]. Acevedo est crédité de 5% dans les sondages. La question qui se pose au Paraguay est de savoir à qui il rognera le plus de voix. A Peña ou à Alegre.
Le Bolsonaro du Paraguay
D’autres sondages, soigneusement diffusés par les médias du groupe Cartes, placent le quatrième candidat en position d’attente avec un pourcentage à deux chiffres, dépassant même parfois Alegre. L’ancien sénateur paraguayen controversé Payo Cubas, né à Washington, aux États-Unis, fils d’un militaire, est devenu le candidat de l’ultra-droite qui émerge dans le pays. Certains analystes le comparent à Jair Bolsonaro pour son langage violent et ses mauvaises manières, mais il n’a aucun lien avec les forces armées, est favorable à la légalisation de la marijuana et a déclaré qu’il irait à l’encontre des grands propriétaires terriens. Sur la base de ce combo contradictoire, il s’est imposé comme le candidat anti-establishment avec une part de voix attendue d’environ 15 %.
Le Paraguay aborde ces élections avec une monnaie stable, le guaraní – qui aura 80 ans en 2023 et est la deuxième plus ancienne d’Amérique latine -, un taux d’inflation annuel d’environ 6,5 % et une dépendance notable à l’égard des États-Unis en matière de géopolitique. Cette année, le gouvernement a signé un protocole d’accord avec Washington pour que les forces militaires américaines puissent contrôler la « Hidrovía » des fleuves Paraná et Paraguay. L’accord a été signé par le ministre des affaires étrangères local, Julio Arriola, et l’ambassadeur Marc Ostfield. Le ministère argentin des affaires étrangères a demandé à Asunción des explications sur cette décision, invoquant des problèmes de sécurité dus à la présence de forces militaires extérieures à la région.
La presse paraguayenne est divisée dans son soutien aux candidats. Le groupe Nación Media de Cartes, dirigé par le journal La Nación et qui comprend également des chaînes de télévision câblées, des portails numériques et des stations de radio telles que AM 970, est un grand partisan de Peña, qu’il considère comme le vainqueur des élections d’après les sondages qu’il publie. Les deux journaux les plus diffusés, ABC Color et Última Hora, soutiennent la Concertation pour un nouveau Paraguay d’Alegre et sa colistière, la jeune ex-ministre du Logement Soledad Núñez [qui est aussi membre de plusieurs ONG, NdT].
Selon des médias qui n’appartiennent pas à l’ex-président, le duo semble devancer le parti Colorado dans les sondages. Une autre possibilité évoquée est une égalité technique entre les deux principaux prétendants à la victoire.
Sans aucune chance, trop loin dans tous les sondages, se trouve l’ancien gardien de but José Luis Chilavert [gardien de la sélection du Paraguay avec laquelle il a joué, entre autre, le 1/8 de finale de Coupe du Monde contre la France en 1998, NdT]. Il se présente sous les couleurs du Partido de la Juventud (PJ) avec l’objectif déclaré d' »affronter le socialisme et la gauche ». C’est peut-être pour cela qu’il étudie la proposition que lui a faite Patricia Bullrich de se présenter à la mairie du parti de La Matanza, le plus peuplé de la province de Buenos Aires. « Le football, dynamique de l’impensable », disait le célèbre journaliste sportif Dante Panzeri, scribe à la plume acérée et portraitiste des misères d’autres temps qui se répètent aujourd’hui. Chilavert ne sera pas le dernier candidat à utiliser sa notoriété pour tenter de devenir président. L’Amérique latine a plusieurs précédents.
Source: Gustavo Veiga/Resumen Latinoamericano – Traduction: Romain Migus