Le Pérou : prochaine cible de Donald Trump ? – La Línea

11 février 2025

Un récent article de l’influente revue Foreign Policy[1] analyse la nomination à des postes élevés de l’administration Trump de fonctionnaires ayant une expertise sur l’Amérique latine (tels que Marco Rubio, Mauricio Claver Carone, Christopher Landau, Mike Waltz) comme un signe de l’intérêt retrouvé des États-Unis pour l’hémisphère occidental. Après avoir privilégié d’autres régions du monde pendant plusieurs décennies, les États-Unis reviennent à ce qu’ils considèrent comme leur arrière-cour coloniale. Mais comme dans beaucoup d’histoires de couple, ils ne peuvent que constater que pendant leur « absence prolongée » s’est introduite une puissante nation asiatique, qui en a profité pour développer une relation profonde et durable avec les pays d’Amérique latine et des Caraïbes.

Dans un communiqué du département d’État, le secrétaire d’État Marco Rubio exprime la nouvelle préoccupation de Washington : « Les diplomates américains ont négligé l’hémisphère occidental pendant trop longtemps. En diplomatie, cela signifie accorder plus d’attention à notre propre voisinage »[2].

Tout porte à croire que durant le nouveau mandat de Donald Trump, l’Amérique latine sera destinée à devenir le champ de bataille privilégié de la guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis. Le secrétaire d’État Rubio joue cartes sur table : « Certains pays coopèrent avec nous avec enthousiasme, d’autres moins. Les premiers seront récompensés. Quant aux seconds, le président Trump a déjà démontré qu’il était plus que disposé à utiliser l’influence considérable des États-Unis pour protéger nos intérêts »[3]. Un soldat averti en vaut deux.

Marco Rubio a décidé de réaliser ses premières visites officielles sur le continent. Un siècle que cela n’était pas arrivé. Il a donc rencontré les pays satellites de Washington en Amérique centrale. Le Guatemala, le Costa Rica et le Salvador ont semblé se satisfaire de la nouvelle donne géopolitique imposée par Washington. Après s’être entretenu avec le secrétaire d’État, le Panama a décidé d’abandonner sa souveraineté sur le canal et de se retirer des routes de la soie promues par la Chine dans la région. Le président panaméen a légèrement grogné devant les caméras mais est rapidement rentré dans le rang.

Dans un deuxième temps, il est plus que probable que les États-Unis décident de faire pression sur des pays qu’ils dominent politiquement et militairement mais dont les économies dépendent des relations économiques avec la Chine. Des pays comme l’Équateur, le Chili et le Pérou sont dans la ligne de mire, et désormais à la croisée des chemins.

Au cours des dernières décennies, les autorités péruviennes se sont considérées comme les promoteurs d’un pays libéral qui pouvait se payer le luxe de séparer les relations politiques des échanges économiques.  En d’autres termes, le Pérou s’est fait le relais des intérêts politiques des États-Unis tout en développant des échanges économiques dynamiques avec la Chine. Les conséquences de cette absence de boussole géopolitique se mesurent dans l’état de dépendance du Pérou vis-à-vis des deux grandes puissances. 

Au niveau politique, le Pérou reste un satellite des Etats-Unis. L’ambassade a un agenda clair d’ingérence dans toutes les branches de l’État. Pendant des années, Washington a financé le groupe politique au pouvoir ainsi que son adversaire dans l’opposition à travers ses différentes agences (USAID, NED, Fondation Ford, etc.). Ainsi, quel que soit le vainqueur des élections, la subordination du pays était assurée.

De mai 2023 à aujourd’hui, à la demande de l’exécutif, le Congrès a autorisé le déploiement permanent d’un contingent militaire américain, qui n’a de compte à rendre qu’au Pentagone. Dans la pratique, le Pérou est donc un pays sous occupation militaire. Au cours des deux dernières années, le cartel politique qui usurpe le pouvoir a renforcé sa dépendance militaire vis-à-vis du bloc occidental en remplaçant son traditionnel arsenal d’origine soviétique et russe par du matériel provenant des États-Unis, d’Israël et de l’OTAN.

Outre la souveraineté territoriale et maritime, Washington s’est également approprié de la souveraineté spatiale en installant un port spatial au nord du Pérou.

Malgré cette relation coloniale, le désintérêt des États-Unis pour la région ces dernières années a permis à la République populaire de Chine de devenir le premier partenaire commercial du pays, avec des projets d’une grande importance stratégique dans les secteurs de l’exploitation minière, de l’énergie et des infrastructures. Le Pérou est le troisième exportateur latino-américain vers la Chine, avec 36 % de ses exportations vers le géant asiatique. Les investissements chinois dépassent les 30 milliards de dollars. En novembre, le port de Chancay, dont les chinois sont les actionnaires majoritaires, a été inauguré au nord de la capitale Lima. Il est appelé à devenir le premier hub portuaire d’Amérique du Sud vers l’Asie.

C’est le paradoxe péruvien. Un pays satellite des Etats-Unis qui dépend économiquement de son plus grand rival.  Jusqu’à présent, le Pérou a réussi à maintenir ce fragile équilibre. Mais face à une nouvelle administration étatsunienne désireuse d’approfondir la guerre commerciale, cette fausse neutralité pourrait voler en éclats et le tableau politique se recomposer. Comme le Pérou avait approfondit ses relations économiques avec la Chine durant le premier mandat de Donald Trump, les acteurs politiques et économiques minimise la situation. Mais cette politique de l’autruche vient surtout du fait que personne n’avait anticipé cette situation. Il n’y a pas de plan B, et la stabilité du pays dépend désormais de la volonté de la Maison Blanche. Si l’administration Trump veut faire du Pérou un terrain de guerre commerciale contre la Chine, les autorités de ce pays ne disposent pas d’une souveraineté et d’une autonomie suffisantes (comme peuvent l’avoir des pays comme le Brésil, le Venezuela, Cuba ou la Bolivie) pour imposer une défense des intérêts nationaux.

Sur le plan économique, il est très peu probable que les Etats-Unis développent leurs investissements au Pérou. Les accords signés à court terme ne changeront pas significativement la situation. Mais ils peuvent entraver et gêner le développement des investissements chinois. L’envoyé spécial du département d’État pour l’Amérique latine, Mauricio Claver Carone, avait déjà menacé d’imposer des droits de douane de 60 % sur tous les produits transitant par le port de Chancay. 

L’absence de boussole géopolitique d’une part, et la carence de hommes politiques défendant la souveraineté du pays d’autre part, ont placé le Pérou dans une impasse. Il est fort probable que les Etats-Unis poussent leur satellite andin au suicide en l’obligeant à désaccélérer les relations économiques harmonieuses que le Pérou entretient avec la Chine. Qui osera alors s’opposer à « l’influence considérable des Etats-Unis » dont parle Marco Rubio ?

Dans la pratique les mots de Rubio se traduisent par des barrières douanières et des sanctions de la part du département du Trésor. Bien que le Pérou ait demandé à rejoindre les BRICS, il reste avant tout un cheval de Troie des intérêts américains. Il n’existe pas encore de force politique, ou de groupes économiques indépendant suffisamment puissant pour brandir le drapeau des intérêts nationaux, et résister aux cow-boys de la Maison Blanche.

Il semble que la sortie du labyrinthe géopolitique péruvien ne mène qu’à Washington.

La Línea


[1] Ryan C. Berg, “This Trump Administration Is Shaping Up to Be Latin America-First”, Foreign Policy, 8 janvier 2025, https://foreignpolicy.com/2025/01/08/trump-latin-america-administration/

[2] Marco Rubio, “Una política exterior que pone a Estados Unidos en primer lugar”, US Department of State, 30 janvier 2025, https://www.state.gov/translations/spanish/marco-rubio-una-politica-exterior-que-pone-a-estados-unidos-en-primer-lugar/

[3] Ibid.