Au fil des années, la nature arbitraire et criminelle du blocus des États-Unis contre le Venezuela devient plus évidente. Non seulement le gouvernement vénézuélien, mais aussi les organisations sociales nationales et internationales se sont jointes au chœur des voix qui le dénoncent et demandent l’abrogation des mesures coercitives et unilatérales des États-Unis contre le peuple vénézuélien.
Dans le contexte actuel de la lutte contre la pandémie du COVID-19, cette question est paticulièrement cruciale, car tant les mesures qui empêchent le Venezuela d’accéder au commerce extérieur sans pression ni persécution, que le bloquage de milliards de dollars dans les banques étrangères, signifient pour l’État vénézuélien une augmentation considérable des difficultés à faire face à la pandémie.
Par rapport au blocus, son impact et la réponse pour le combattre, nous avons rencontré María Lucrecia Hernández, avocate, militante des droits humains et directrice de l’organisation Sures.
Après le tristement célèbre décret d’Obama qualifiant le Venezuela de menace inhabituelle et extraordinaire, comment le processus des sanctions a-t-il évolué ?
La première chose à souligner est que la première mesure prise contre le Venezuela a été la loi 113278, adoptée par le Congrès américain en décembre 2014. Cette loi est importante car c’est à partir de celle-ci que l’ensemble des mesures coercitives dictées jusqu’à présent sera déclenché. Cette loi impose des interdictions et des restrictions à la Banque centrale du Venezuela (BCV), notre plus haute autorité en matière de politique monétaire, ainsi qu’à Petróleos de Venezuela (PDVSA), la principale entreprise qui produit plus de 95 % des devises nécessaires au pays pour ses investissements publics.
Outre ces mesures contre le PDVSA et la BCV, il interdira également aux citoyens américains et à tout type de société sous juridiction américaine d’avoir des échanges commerciaux avec le gouvernement vénézuélien sous peine de se voir imposer des restrictions et des sanctions à l’encontre de ces personnes, ou sociétés ou entités qui réalisent des transactions avec le pays.
À partir de là, une série de mesures sont prises à l’encontre du Venezuela. Au sein de Sures, nous différencions ces mesures. Certaines sont de type formel, les mesures dictées par des lois, des décrets, des règlements, elles relèvent d’un acte juridique ; d’autres sont des actions de facto, les rapports négatifs, les actions telles que l’imposition d’un risque pays[1], la fermeture de routes commerciales, les menaces contre l’État et contre les entreprises mais qui ne sont pas soutenues par un instrument juridique.
À ce jour, nous avons enregistré 84 mesures coercitives prises à l’encontre du gouvernement vénézuélien. La majorité d’entre elles, près de 68 %, sont dictées par le gouvernement des États-Unis, suivi par l’Union européenne (UE) avec 9 mesures, puis par le gouvernement du Canada avec 5 mesures, la Suisse avec 2 et nous avons 2 mesures du groupe de Lima, 2 mesures du Royaume-Uni et 2 mesures du gouvernement du Panama, le seul pays d’Amérique latine à avoir imposé une mesure contre le Venezuela.
À partir de là, un grand nombre de mesures commencent à être déclenchées, fondamentalement sous la direction du gouvernement américain, qui va les appliquer par le biais de stratégies fondamentales telles que les décrets, dictés par le président. L’un est promulgué par Obama, le fameux décret par lequel le Venezuela est qualifié de menace inhabituelle et extraordinaire pour la sécurité et la politique étrangère des États-Unis. Sept autres décrets vont être dictés sous le gouvernement Trump. Ces derniers auront un impact important sur l’achat et la vente d’obligations de la dette souveraine, avec ces décrets qui se présentent comme des décrets d’urgence des restrictions seront également établies contre le Petro, l’or et contre PDVSA. En d’autres termes, ils s’attaquent aux centres névralgiques de l’État, mais aussi aux politiques que l’État met en œuvre pour sortir de cette situation de crise, comme la vente d’or ou la création d’une nouvelle crypto-monnaie.
Avec ces décrets d’exception et ces décrets exécutifs dictés par le gouvernement des États-Unis, d’autres secteurs du gouvernement des États-Unis vont pouvoir prendre des mesures contre le pays. Ainsi les actes dictés par le bureau de contrôle des actifs du gouvernement américain, connu sous son acronyme en anglais OFAC, qui dictera des mesures contre différents secteurs, personnes, entreprises, navires, avions, qui ont ou désirent avoir une relation commerciale et financière avec l’État du Venezuela.
Nous avons enregistré que, depuis le début du blocus officiel contre le Venezuela, des sanctions ont été émises contre 131 entreprises publiques et privées, non seulement vénézuéliennes, mais aussi étrangères qui avaient des relations commerciales avec le Venezuela.
Des ordonnances de restriction ont également été émises contre 56 avions, dont beaucoup appartiennent à Conviasa, contre 58 navires, dont la plupart transportaient du pétrole dans le cadre de la vente de pétrole du Venezuela au monde entier, ainsi que l’importation d’additifs et des produits nécessaires à la production de carburant dans le pays.
En outre, plus de 150 actions ont été engagées contre des particuliers, certains fonctionnaires de l’État, mais aussi des étrangers propriétaires d’entreprises qui avaient une relation d’affaires avec le Venezuela. En additionnant tout cela, nous parlons de plus de 400 mesures ou actions décrétées contre le gouvernement du Venezuela.
Quel serait l’impact de tout ce déploiement, en termes financiers, économiques et sociaux ?
Jusqu’à présent il a été très difficile de quantifier cet impact. Premièrement, parce que le cadre institutionnel vénézuélien n’exige pas que tous les organismes publics quantifient économiquement ces dommages, par exemple, si une facture est bloquée, ou si un navire transportant des médicaments est retenu et que cela prend plus de temps à ce navire du fait d’être immobilisé, cela génère un dommage à la république. Ce genre de choses commence à être quantifié et à la fin de l’année, un rapport sera présenté à l’Assemblée générale des Nations unies, qui indiquera de manière détaillée les dommages économiques que le blocus a causés au peuple vénézuélien. Dans le cas de Cuba, par exemple, il existe à cet égard une loi, c’est-à-dire une directive, avec ses dispositions.
Dans le cas du Venezuela, bien qu’un décret ait été publié dans ce sens il y a quelques mois, peu de temps avant la déclaration de la pandémie de covid-19, il n’est toujours pas appliqué au niveau des institutions de l’État. Autrement dit, on ne dispose que d’une quantification, plus ou moins générale, de l’impact économique.
On parle de 130 milliards de dollars de pertes totales pour l’économie vénézuélienne suite au blocus et d’environ 7 milliards de dollars bloqués dans plus de 40 banques internationales.
Il y a donc une première quantification, mais dans notre organisation nous croyons que cette quantification est de loin inférieure à la réalité. Nous pensons que le principal impact social a été cette politique visant à briser tout le système des missions sociales, à entraver l’accès des citoyens aux politiques publiques et à la détérioration du système de santé et d’éducation, fondamentalement depuis 2014 jusqu’à aujourd’hui.
Nous pouvons donner quelques exemples extraits de données internationales, par exemple, de l’Observatoire de l’économie mondiale du Massachusetts Institute of Technology. Cet observatoire souligne qu’en 2015, le Venezuela importait 34% de ses médicaments des États-Unis, 7% d’Espagne et 5% d’Italie ; dans le cas des denrées alimentaires, 33% des États-Unis et 12% du Canada. Dans le cas des médicaments et des aliments, plus de 45 % étaient importés de pays qui nous bloquent aujourd’hui.
Cela a eu un impact très lourd parce que l’État a dû repenser l’infrastructure du système d’importation alimentaire, créer de nouvelles routes, créer de nouveaux partenaires et, évidemment, cela coûte plus cher, car il est plus coûteux d’importer un médicament de l’Inde ou de la Turquie, qui sont beaucoup plus éloignées géographiquement, que de le faire des États-Unis, du Mexique et des États qui sont géographiquement plus proches.
Il a donc fallu procéder à une recomposition complète des nouveaux partenaires commerciaux et cela est bien sûr difficile, car toutes ces entreprises sont menacées par le gouvernement américain. Cela s’est produit il y a peu de temps avec le gouvernement indien qui a décidé de ne plus acheter de pétrole au Venezuela parce que le gouvernement américain le menaçait. C’est une forme de chantage, aucune sanction ne sera appliquée à une personne au cas où elle cesserait d’acheter ou de réaliser une transaction commerciale face à la menace qu’une sanction puisse lui tomber dessus.
Nous l’avons principalement observé dans les domaines de la santé, de l’éducation et de l’alimentation. Pour donner des exemples concrets : dans le cas de la santé, en 2017, Citibank refuse de recevoir une transaction de fonds vénézuéliens pour l’importation de 300 000 doses d’insuline pour les personnes diabétiques ; ou dans le cas de la NovoBank, qui retient l’argent d’un programme que le gouvernement vénézuélien a mis en place par l’intermédiaire de PDVSA et de Citgo pour subventionner des greffes de moelle osseuse pour des patients traités en Italie. Les exemples ne manquent pas : dans le cas des denrées alimentaires, on va attaquer les comités locaux d’approvisionnement et de production (CLAP), c’est-à-dire que l’ensemble du réseau d’importation de denrées alimentaires pour les boîtes CLAP a été directement attaqué par ces mesures coercitives unilatérales.
Ces mesures ont également eu un impact important sur ce que l’on appelle la mobilité humaine ou les processus de migration du Venezuela vers la région. Elle a entraîné la modification et le changement de vie des gens, par exemple, dans le cas des patients atteints de maladies chroniques qui ont dû quitter le pays parce qu’ils ne pouvaient pas avoir accès à leurs médicaments, et aussi la mobilité des gens à la recherche de meilleures conditions de vie pour répondre à leurs besoins fondamentaux. Un fait central dans le cas des mouvements migratoires est que la courbe ascendante de l’application de mesures coercitives de 2015 – 2017 – 2019 sera exactement la même que l’augmentation de la migration pendant ces années ; c’est-à-dire que la migration va de pair avec les sanctions : plus l’application de mesures coercitives est importante, plus les processus d’émigration sont importants.
Les mouvements sociaux ont dénoncé ces dégats et ont demandé à l’État de participer à ce processus de quantification des dommages. Nous avons demandé que des espaces soient ouverts pour dénoncer les impacts concrets du blocus dans chacun des domaines de la vie des gens. Au-delà de ces dénonciations concrètes à l’État, nous avons fait appel à la solidarité internationale, les campagnes contre le blocus, et les organisations et mouvements sociaux du monde entier nous ont beaucoup soutenus. Nous avons également dénoncé le blocus imposé à notre pays dans différents espaces, fondamentalement dans l’espace multilatéral des Nations unies. Nous avons rencontré des rapporteurs spéciaux, la Haut Commissaire aux droits humains et nous avons apporté des preuves concrètes de l’impact de ce blocus sur la vie du peuple vénézuélien.
Quel est l’état actuel de la lutte contre le blocus et quelles sont les actions judiciaires et politiques menées pour le combattre et pour défendre les ressources et les biens du Venezuela à l’étranger ?
Il est important de mentionner, tout d’abord, que l’application de mesures coercitives, l’imposition de blocus économiques contre un pays signifie, soit limiter, soit entraver ses relations commerciales avec le monde, par des menaces, par différentes actions, mais cela ne signifie ni le vol, ni la confiscation des biens de cet État. Il est important de bien faire la différence de cette situation avec celle que nous vivons.
Car outre le blocus et l’application de mesures coercitives, dans notre cas, nous subissons également le vol, la confiscation et la saisie des biens de l’État. Les cas les plus clairs sont ceux de Citgo, la principale filiale de Petróleos de Venezuela, ou celui de l’or vénézuélien déposé à la Banque d’Angleterre.
Le 13 février 2020, l’État vénézuélien a présenté un recours auprès de la Cour pénale internationale (CPI), pour qu’une enquête soit ouverte sur les crimes commis contre la population vénézuélienne par le gouvernement des États-Unis, en raison de l’imposition d’un blocus économique et de mesures coercitives et unilatérales, connues sous l’euphémisme de « sanctions ». La Cour, comme vous le savez, est une cour internationale de justice qui juge les personnes accusées d’avoir commis des crimes tels que : génocide, guerre, agression et crimes contre l’humanité. Cette saisine a été faite auprès de ce tribunal international et est actuellement dans le bureau du procureur général de la Cour pour l’analyse de l’affaire, afin de voir s’il admet ou non la demande.
Bien que le gouvernement vénézuélien n’identifie pas l’auteur des crimes, il demande à la Cour d’identifier, et de décrire de manière très détaillée, l’impact du blocus sur le système de santé vénézuélien, sur l’accès du peuple vénézuélien à la nourriture, sur l’accès aux médicaments et aux importations de nourriture par l’État, sur la mise en œuvre des plans sociaux, et comment ces politiques sociales ont été attaquées suite à l’application de ces mesures coercitives depuis 2014.
En plus de cette demande de l’État, des mouvements sociaux, dont Sures, l’organisation que je représente, ont également déposé une plainte en juin de cette année qui s’ajoute au dossier déposé par l’État par laquelle nous demandons à la Cour de nous reconnaître en tant que amicus curiae. C’est-à-dire que, bien que vous ne soyez pas partie prenante, vous pouvez présenter des preuves, des allégations, présenter des preuves de l’impact des sanctions sur la population.
Au niveau international, deux autres procédures sont actuellement en cours. L’une est la demande de l’État vénézuélien pour le rapatriement de l’or qui se trouve à la Banque d’Angleterre, déposée devant les tribunaux anglais. Le problème ici vient de ce que l’Angleterre a pris des mesures coercitives contre le pays et a accepté l’autoproclamation du député Guaidó comme président intérimaire. Dès lors, la juridiction anglaise n’a pas reconnu l’État vénézuélien comme plaignant dans l’affaire, mais bien le député Guaidó.
Le second est avec la société Cristalex, une société minière canadienne qui avait une concession ici au Venezuela. La concession a été révoquée et cette société a intenté un procès pour dommages et intérêts devant la juridiction des États-Unis. Comme dans le cas de l’Angleterre, celui qui représentera l’État vénézuélien est un magistrat, désigné par le député Guaidó, et qui était lui-même employé de la société Cristalex. Il y a manifestement ici un conflit d’intérêts. À cela s’ajoute qu’au-delà du fait que ce procès en dommages et intérêts, ils veulent le recouvrer en accaparant la société Citgo qui est la plus importante filiale de PDVSA.
Ainsi, au niveau international, différents procès sont en cours. Il y a également des plaintes de l’État devant les instances multilatérales. Les Nations Unies se sont prononcées à travers différentes instances contre le blocus. Ainsi lors du dernier Conseil des droits humains en juillet de cette année, le gouvernement américain a été invité à mettre fin au blocus contre le Venezuela. Les rapporteurs spéciaux des Nations unies se sont également prononcés contre le blocus et en faveur de la cessation de l’application de ces mesures coercitives.
Source: CRBZ – Traduction: Venesol
Note des 2 Rives: Nous vous invitions à approfondir le sujet en vous rendant sur le site de l’organisation des droits de l’Homme Sures, dont est membre Maria Lucrecia Hernández en cliquant ici
Par ailleurs, nous vous recommandons l’interview de Alfred de Zayas, ancien secrétaire du Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU réalisé par Romain Migus (Alfred de Zayas: « Les sanctions économiques sont un crime contre l’Humanité ») en cliquant ici