Une victoire indiscutable. Lors du second tour de lâélection présidentielle équatorienne, le 11 avril, lâex-banquier et candidat néolibéral Guillermo Lasso lâa emporté (Creo-Parti social-chrétien, 52,36 % des suffrages) devant le progressiste Andrés Arauz (Union pour lâespérance, 47,64 %). A priori, un tel résultat peut surprendre. Au premier tour, Lasso avait été largement dominé (19,74 % des voix) par son adversaire (32,72 %) tandis que deux autres candidats dits « de gauche », Carlos « Yaku » Pérez Guartambel (Pachakutik, 19,39 %) et Xavier Hervas (Gauche démocratique, 15,98 %) arrivaient respectivement en troisième et quatrième positions. En bonne logique, un tel rapport de forces mettait le représentant des classes dominantes et des puissants groupes économiques en nette minorité.
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Battu de 32 000 voix (0,35 % des suffrages) par Lasso pour accéder au second tour, Yaku Pérez, le candidat « écologiste » représentant Pachakutik (PK), le bras politique de la Confédération des nationalités indigènes dâEquateur (CONAIE), a dénoncé une fraude, sans parvenir à la prouver si lâon en croit le Conseil national électoral (CNE) et, après un ultime recours, le Tribunal contentieux électoral (TCE). En apparent adepte de la théorie du complot, Pérez a attribué cette supposée fraude à un pacte quasi satanique entre le CNE, Lasso et⦠lâancien président de gauche Rafael Correa (2007-2017), quâil déteste au-delà du raisonnable [1]. Sâestimant victimes dâun déni de démocratie, et après un appel à manifester finalement peu suivi, Pérez, la CONAIE et PK ont prôné le « vote nul idéologique » au second tour. Lequel a de fait atteint un taux exceptionnel de 16,26 % favorisant, selon nombre dâobservateurs, la victoire de Lasso.
On récusera dâemblée deux assertions apparues ici ou là . « LâEquateur tourne la page du socialisme et retombe dans le giron de la droite », affirme la première [2]. La droite a en réalité repris le pouvoir en 2017 avec lâarrivée à la présidence de LenÃn Moreno. Elu sur le programme de la « révolution citoyenne » chère à Correa (dont il fut le vice-président), Moreno a retourné sa veste et co-gouverné avec les conservateurs â dont Lasso â dès sa prise de fonction. Plus que dâalternance il sâagit donc de continuité.
Seconde allégation : le rejet de lâ « autoritarisme de Correa » expliquerait la défaite dâArauz, membre de son courant politique et soutenu par lui. Absurde. Comment expliquer, dans ce cas, lâélection en 2017 de Moreno, considéré alors comme le dauphin du dit Correa et porteur de la continuité dâun projet commun ? Lâex chef de lâEtat serait perçu plus « autoritaire » par ses compatriotes, au terme de quatre années passées hors du pouvoir, en Belgique, où il réside, quâimmédiatement après la fin de son second mandat ? Il y a, pour expliquer la victoire de la droite, de bien plus conséquentes raisons.
Rebaptisée « correisme » par ses adversaires, la « révolution citoyenne » est arrivée aux portes du scrutin très affaiblie. Dépouillée de son parti, Alianza PaÃs, confisqué par Moreno, elle a dû affronter mille obstacles pour pouvoir participer à la consultation. Tour à tour, le Parti de la révolution citoyenne (PRC), le Mouvement révolution alfariste (MRA) puis Fuerza Compromiso Social (FCS), avec lesquels elle prétendait concourir, ont été arbitrairement proscrits par les autorités. Ce nâest quâin extremis, quâelle a pu se présenter sous les couleurs du Centre démocratique, un parti dâemprunt. De quoi désorienter passablement lâélecteur peu au fait des péripéties de ce parcours du combattant.
Accusés de tous les maux par un Moreno aux limites de la déraison, persécutés dans le registre « law fare » par la justice, obligés pour certains à lâexil, condamnés à de lourdes peines, comme le vice-président Jorge Glas ou Correa lui-même, les dirigeants de la « révolution citoyenne » ont dû subir quatre années dâune intense stigmatisation. Quatre années au cours desquelles la corruption informationnelle â El Universo, El Comercio, El Telégrafo, Teleamazonas, Ecuavisa, etc. â a soumis les cervelles à un même message, répété à lâinfini : ayant gouverné le pays de façon « dictatoriale », Correa et les siens sont par ailleurs « un nid de voleurs et de corrompus ».
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On ne doit pas sous-estimer lâimpact dâune telle campagne. Pour qui en douterait, on rappellera que ce genre de traitement et ses conséquences ont eu au moins un précédent récent. Comme celui de Correa en Equateur, les gouvernements brésiliens de Luiz Inácio Lula da Silva (2003-2011) et Dilma Rousseff (2011-2016) ont pu commettre des erreurs de parcours, prendre des décisions contestables et contestées. Nul ne nierait pourtant que leurs années au pouvoir ont bousculé le modèle en place, pour le plus grand profit du pays et dâune majorité de sa population. Démarrée en 2014, intensifiée en 2015, lâopération « Lava Jato » lancée contre la corruption (bien réelle dans certains cas [3]) fournit le climat et le rideau de fumée propices à la « destitution » de Dilma Rousseff, présidente démocratiquement élue dont nul nâa jamais contesté la probité. Pour « maquillage de comptes publics », un crime constitutionnel inexistant, celle-ci subit en réalité en 2016 un coup dâEtat juridico-parlementaire.
Deuxième acte du « reality show » : accusé de corruption, lâex-président Lula fait lâobjet dâun rare acharnement judiciaire. Condamné sans preuves le 12 juillet 2017 à 9 ans et 6 mois de prison par le juge Sergio Moro, il voit sa peine portée à 12 ans et un mois, applicable après examen dâéventuels recours. Il nâen passe pas moins 580 jours en prison. Bien quâayant fait appel, il se voit interdire, en août 2018, de participer à la prochaine élection présidentielle â dont il est lâincontestable favori.
A moins dâun mois du premier tour du scrutin, le Parti des travailleurs (PT) doit remplacer son chef historique par Fernando Haddad, lâancien maire de São Paulo. Depuis 2015 (et même bien avant), dans une coordination éditoriale asphyxiante, les médias dominants â O Globo (télévision et presse écrite), TV Record, O Estado do São Paulo, Folha do São Paulo, Jornal do Brasil, Veja, etc. â ont construit un récit « anti-PTiste » qui fait de ce parti et de Lula les principaux architectes du système de corruption (présente dans tous les familles politiques). En pleine campagne électorale, Haddad lui-même est accusé de blanchiment dâargent et dâassociation illicite par le ministère public de São Paulo. La presse se livre à des attaques personnelles dâune bassesse inouïe contre lui. Ce qui suivrait son éventuelle victoire fait lâobjet de mensonges éhontés. Emprisonné, à lâisolement, le toujours populaire Lula se voit privé de parole et de la possibilité de le soutenir publiquement.
Quand, au fil du temps, les dénonciations se succèdent, toutes allant dans le même sens, elles finissent par être définitivement intériorisées. De larges couches sociales, à commencer par la classe moyenne, associent tous les partis à la gangrène, mais, plus que les autres, le grand parti de gauche, qui a exercé le pouvoir pendant treize ans. Lâimage véhiculée du « réveil démocratique et citoyen » de tout un peuple contre « la corruption » porte ses fruits. En ce qui le concerne, Ciro Gomes, autre candidat dit « de gauche » (Parti démocratique travailliste ; PDT) refuse à Haddad tout réel soutien. Dès lors, pour de nombreux électeurs, le candidat antisystème Jair Bolsonaro apparaît comme lâhomme providentiel, avec son désir de « nettoyer le pays des élites corrompues ».
On sait ce quâil en advint. Le néofasciste Bolsonaro sera élu le 28 octobre 2018 avec 55,13 % des voix. On apprendra bientôt que Lula, qui aurait pu empêcher son arrivée au pouvoir, a été victime dâune machination [4].
Il serait absurde de comparer Lasso à Bolsonaro (tout du moins, nous lâespérons !). En revanche, médias brésiliens et équatoriens font bien partie de la même funeste famille. Lula et Correa (condamné à huit ans de prison, empêché de se présenter à la vice-présidence) peuvent se serrer la main. Quant à Arauz, qui nâa en rien démérité, on peut sans se tromper le qualifier de « Haddad équatorien ».
De 19,74 % des voix au premier tour aux 52,26 % obtenus au second, la « remontada » de Lasso a été spectaculaire. Du (presque) jamais vu [5]. Sa campagne a été menée sous les auspices dâun gourou expérimenté et retors, Jaime Durán Barba, ex-conseiller de lâancien maire de droite de Guayaquil Jaime Nebot, artisan de la victoire de lâargentin Mauricio Macri contre le « kirchnérisme » en 2015. En un temps record, Durán Barba a réussi la performance (car câen est une) de transformer Lasso, ce financier ultraconservateur et membre de lâOpus Dei en un politicien subitement très critique de la gestion de Moreno et aimablement ouvert à toutes les sensibilités â des écologistes aux peuples indigènes en passant par les féministes et les minorités LGTB. De quoi séduire les jeunes urbains, qui nâont pas connu la terrible crise de la fin des années 1990. Bref ministre de lâEconomie, mais surtout président de la Banque de Guayaquil et de lâAssociation des banques privées, Lasso sâest alors particulièrement enrichi sur le dos des Equatoriens.
Crédité dâun excellent 15,98 % au premier tour grâce à son agilité sur les réseaux sociaux, unanimement présenté comme « social-démocrate », lâentrepreneur Xavier Hervas, de la Gauche démocratique (ID), sâest immédiatement rallié à ⦠Lasso. Juan Mateo Zúñiga, son chef de campagne, est parti renforcer celle de lâex-banquier. Pour expliquer cette apparente incohérence, on précisera que Hervas est en gros à « la gauche » ce que François Hollande et le secrétaire général adjoint de son cabinet (puis ministre des Finances) Emmanuel Macron étaient (et sont) au socialisme. Ce qui évitera de se perdre en commentaires superflusâ¦
Une grande question a agité lâentre deux tours. Les Indigènes et autres électeurs (souvent jeunes) de Pachakutik suivraient-ils la consigne de lâ « écolo » Yaku Pérez appelant à rejeter tant la gauche que la droite, tant Arauz que Lasso ? Premier élément de réponse : si Arauz triomphe dans les cinq provinces côtières â SucumbÃos, Santa Elena, Los RÃos, El Oro, ManabÃ, Guayas (sauf le grand port de Guayaquil) et Esmeraldas â, dépourvues de caractères ethniques prononcés, il voit les dix-sept provinces centrales de la « Sierra », à forte population autochtone, lui tourner le dos [6].
A lâévidence convaincus par les virulentes dénonciations de fraude avancées par leur candidat Pérez, les partisans de PK et de la CONAIE ont exprimé leur solidarité et leur colère en portant le vote nul au score de 16,3 % â le double du taux atteint lors des élections présidentielles précédentes. Dans neuf provinces, la tendance a franchi le seuil des 20 % ; Cotopaxi et BolÃvar, Cañar et Azuay (bastions de Yaku Pérez) approchent les 30 % et dépassent le pourcentage de voix obtenu par Arauz.
Pour autant, faut-il en déduire un simple « les Indigènes ont voté nul » ? Comme nombre de consensus, cette affirmation dissimule une réalité dérangeante : alors que, en octobre 2019, ils avaient lutté au coude à coude, dans la rue, avec les militants et sympathisants de la « révolution citoyenne » contre les mesures austéritaires du gouvernement de Moreno, les Indigènes ont aussi, pour une part très significative (plus du tiers), adoubé le candidat néolibéral Lasso (premier bénéficiaire de la supposée « fraude » dont aurait été victime leur candidat).
Un tel constat remet en cause « lâidée un peu naïve quâil y a une organicité indigène, réagit lâanalyste Eduardo Meneses, qui constate « une droitisation des régions » où ceux-ci vivent majoritairement. « Le discours sur lâentrepreneuriat y a une résonnance chez les 60 % de travailleurs informels », sur le thème « vous avez votre destin entre vos mains [7].  »
Président du Mouvement indigène et paysan de Cotopaxi (MICC), particulièrement en pointe lors du soulèvement dâoctobre 2019, Leonidas Iza ne cache pas avoir voté nul, malgré sa détestation de Lasso, pour respecter la décision collective de la CONAIE et de Pachakutik â le fameux « commander en obéissant ». « En matière économique, nous [le mouvement indigène] nâavons plus lâhomogénéité que nous avions en 1990, explique-t-il néanmoins [8]. Nous étions tous agriculteurs, nous étions tous pauvres. Maintenant (â¦) nous avons un secteur qui soutient le système financier des coopératives dâépargne et de crédit, il y a un secteur lié au commerce, un autre à lâindustrie, un autre au travail. Il y a un phénomène migratoire, le départ des campagnes, principalement des jeunes, en ce moment. Cette main-dâÅuvre se trouve maintenant dans les secteurs populaires des grandes villes. (â¦) En ce sens, je crois quâil y a un secteur bien loti en termes économiques et qui, idéologiquement, a parié sur le candidat de la droite. En raison de leur rejet du correisme, dâautres secteurs ont dû opter pour Lasso [9]. » Au terme du scrutin, derrière une formulation sibylline, lâun des premiers tweets de Yaku Pérez donne le ton : « Pachakutik et le vote nul enterrent le correisme »â¦Â « Quoi quâil en coûte », lâennemi quâil fallait battre est clairement désigné.
Avec ses cantiques, ses exorcismes, sa « théologie de la prospérité » et son discours décomplexé sur lâargent, la croissante influence des groupes évangéliques nâest pas pour rien non plus dans cette conversion de pans entiers des milieux indigènes et populaires.
Plombé par une dette publique supérieure à 63 milliards de dollars (63 % du PIB), lâEquateur a enregistré en 2020 une chute de 7,8 % de ce même PIB. Pour aider le pays fragilisé par la pandémie de Covid et le plongeon des prix du pétrole, le Fonds monétaire international (FMI) lui a accordé le 30 septembre 2020 un programme dâaide dâenviron 6,5 milliards de dollars sur vingt-sept mois. Il se tient donc en embuscade pour imposer ses vues quant aux modalités et stratégies de remboursement (à commencer par une réforme fiscale et une augmentation de la TVA).
Lasso a promis de ne pas alourdir les impôts, dâattirer davantage dâinvestissements étrangers, de créer deux millions dâemplois et de faire progresser le salaire minimum mensuel de 400 à 500 dollars (tout en annonçant une loi sur « les opportunités de travail » permettant à ceux qui rejoignent la population active de recevoir⦠120 dollars par mois). Lâavenir dira sâil a tenu ses promesses de campagne. Y compris celles qui peuvent fâcher : baisse de lâimpôt sur les sociétés et les sorties de capitaux, plus grande liberté accordée aux banques, consolidation de la politique de libéralisation des échanges par une adhésion à lâAlliance du Pacifique â fondée en avril 2011 par les droites au pouvoir au Chili, au Pérou, en Colombie et au Mexique pour se démarquer du Marché commun du sud (Mercosur) et de lâUnion des nations sud-américaines (Unasur), pas assez néolibéraux à leurs yeux.
Toutefois, un constat sâimpose : pour mettre en Åuvre sa politique, le nouveau président nâa pas de majorité au Parlement (Arauz nâen aurait pas eu non plus).
Créer des opportunités (CREO), le parti de Lasso, ne dispose que de 12 députés sur⦠137. Le Parti social chrétien (PSC), son allié, en a fait élire 19. A eux deux, ils en totalisent 31. La Gauche démocratique en aligne 16. Malgré les ambitions de Yaku Pérez â « La défaite du corréisme est la parturiente de la nouvelle gauche, de cette gauche qui représente le rêve des jeunes, des écologistes, des gens honnêtes, des gens qui rêvent de rêves et de libertés [10]  » â lâUnion pour lâespérance (Unes) dâArauz (et Correa) demeure la principale force progressiste. Avec ses 49 représentants, elle sâimpose même comme le premier parti équatorien. Nonobstant son incontestable percée, Pachakutik nâa pu en faire élire que 27. Et sâil est vrai quâon attribue à ce parti la paternité de lâhistorique 16,26 % de bulletins nuls, le « correisme », fort de 47,64 % des voix, le domine somme toute largement.
Quoi quâil en soit, le binôme CREO-PSC de Lasso devra trouver des alliés. LâUNES dâArauz a affirmé quâelle exercera une opposition « constructive » et ne fera rien pour provoquer lâ« ingouvernabilité ». Nul nây a oublié la période qui a précédé lâarrivée au pouvoir de Correa : sept présidents en dix ans. LâUNES a toutefois précisé quâelle sâopposerait « à tout ce quâelle considérera nâêtre pas au bénéfice des citoyens ». Il y a peu de chance que, poursuivant des objectifs radicalement opposés, ces deux courants politiques se retrouvent autour de desseins communs. Câest donc du côté de la Gauche démocratique (GD) et de Pachakutik que Lasso devra se tourner. Fortes de leurs 45 représentants, ces deux mouvances ont dâemblée entamé un rapprochement pour mener à bien leur priorité absolue : empêcher à tout prix Pierina Correa, sÅur de lâex-président et députée élue (avec le plus grand nombre de voix), de présider au nom de lâUNES lâAssemblée nationale.
Le 22 avril, les deux formations ont souscrit un accord intitulé « Minka pour la justice sociale et la liberté » comportant une sorte de programme en matière dâéconomie, dâemploi et de production, dâéducation et de santé, dâécologie et de droits humains, dâéthique et de transparence. Il a été convenu que PK présentera un candidat au perchoir de lâAssemblée, GD postulant en échange lâune des deux vice-présidences et quatre commissions permanentes. De son côté, Yaku Pérez a précisé sa position vis-à -vis du nouvel exécutif : « Je suis ouvert aux dialogues, tout à la lumière du jour. Aucun marchandage ou postes bureaucratiques. Je nâaccepterai aucun ministère, aucune position bureaucratique [11]. » Arauz nâa pas eu besoin de faire ce genre de mise au point, personne nâayant envisagé une seule seconde une telle éventualité.
Mais ensuite ? Comment le nouveau président pourrait-il compter sur lâappui des députés de PK, héritiers pour certains du mouvement dâoctobre 2019 et surveillés de très près par leur base sociale ? « Jâexige du gouvernement national plus de leadership sur les forces de sécurité afin quâelles agissent avec fermeté », déclarait Lasso, au plus fort des manifestations, alors que la répression faisait onze morts et 1 140 blessés. Quels points communs entre le vague réformisme de la Gauche démocratique et le radicalisme de certaines bases de PK ? Pour le vainqueur, Lasso, un spectre se profile : celui de lâinstabilité. Et nul ne sortira intact du résultat contre-nature de cette élection 2021.
Paradoxalement, alors que tout un chacun a salué leur performance, la CONAIE et Pachakutik risquent dâémerger très affaiblis de la séquence. Quâils le veuillent ou non, par action ou par omission, ils ont contribué à la victoire de la droite. Situation aussi fâcheuse, quand lâécume du moment sera retombée et que le néolibéralisme avancera ses pions, que celle quâils ont connue dans les années 2000 lorsque certains de leurs leaders ont accompagné lâex-colonel Lucio Gutiérrez [12], passé de la gauche (supposée) à la droite (réelle) en un tournemain. Pendant longtemps, cette collaboration leur a collé aux basques et coûté très cher en termes de crédibilité. La leçon, semble-t-il, nâa pas été retenue.
La mouvance indigène était déjà très divisée aux portes de lâélection présidentielle. Méprisant la règle depuis longtemps établie, Pachakutik a fait de Yaku Pérez son candidat sans consulter les bases de la CONAIE. Un coup de force très mal vécu par deux autres postulants, dirigeants « de choc » lors du mouvement social de 2019, Jaime Vargas et Leonidas Iza. En fin de mandat à la tête de la CONAIE, Vargas, transgressant à son tour les règles et la consigne de « vote nul », a appelé à élire Arauz. Iza, tout en respectant la décision collective, a clairement exprimé par tweet son humeur du moment : « LâEquateur aura un gouvernement de droite néolibéral de caractère fasciste #Lasso. Le correisme a perdu mais pas la gauche qui continue à se battre que ce soit clair ! » Toujours en recherche de boucs émissaires, Yaku Pérez poursuit les deux hommes de sa vindicte : « Sâil nây avait pas eu la trahison du correiste Vargas et du naïf Iza, à lâheure actuelle, le mouvement indigène et une majorité dâEquatoriens célébreraient très probablement le fait que, pour la première fois dans lâhistoire de lâEquateur, un candidat dâorigine indigène et populaire est devenu président, avec les conséquences que cela implique [13].  »
Du 1er au 3 mai, aura lieu le Congrès national de la CONAIE rassemblant entre 2000 et 2500 délégués dans la province de Cotopaxi (si les mesures sanitaires imposées par la pandémie nâobligent pas à le déplacer ou à le repousser). Pour remplacer Jaime Vargas a la tête du mouvement, Leonidas Iza, soutenu par le MICC, avait déjà fait acte de candidature quand il a déclaré : « En ce moment, lâEquateur est polarisé entre correisme et anti-correisme. Je crois donc quâil est absolument nécessaire de dépasser ce clivage car, avec cette bipolarité, seule la droite récolte. Par exemple, les organisations indigènes qui déclarent nâêtre ni de gauche ni de droite, mais anti-correistes, finissent par pactiser avec la droite [14].  » Au même moment ou presque, dans un courrier à Marlon Santi, coordinateur national de Pachakutik, Yaku Pérez estimait quâune « purge » est « impérative » au sein du mouvement [15]. Quelle que soit lâissue de ce Congrès, la CONAIE nâen sortira pas indemne. Il y aura eu affrontement. Jusquâà la fracture, la fragmentation ?
Les médias, pour lâheure, observent une neutralité de bon aloi devant ces affrontements fratricides qui, finalement, font lâaffaire des secteurs dominants. Sans doute se réveilleront-ils si le courant dâIza lâemporte â plus redoutable dans dâéventuelles mobilisations contre la politique de Lasso. En revanche, ces mêmes canaux dâ « information » ont clairement fait un constat : le « correisme », comme ils lâappellent, est toujours vivant. Première force politique au niveau national. Unie. Cohérente. Que Lasso échoue, à la manière dâun Mauricio Macri en Argentine ou, dans dâautres circonstances, dâune Janine Añez en Bolivie, et la « révolution citoyenne » sera la mieux armée pour rassembler. Et revenir au pouvoir à la prochaine échéance. Dâoù la poursuite dâune campagne de haine que la nouvelle donne nâa en rien ralenti. Toute en nuances, comme il se doit. Dans El Universo (20 avril), sous le titre « Le führer », un certain Ramito Rivera écrit ainsi : « Dans lâanalyse de lâarrivée du national-socialisme au pouvoir â par le biais dâélections â, de lâétablissement du nazisme et du leadership fort dâHitler, on trouve un certain nombre de similitudes et de confréries avec ce que représentent, à mon avis, certains caudillos autoritaires en Amérique latine. Jâen cite trois : Daniel Ortega au Nicaragua, Nicolás Maduro au Venezuela et le caudillo équatorien résidant en Belgique, heureusement battu aux élections du 11 avril. » La grande classe, il faut lâadmettre…
La victoire du conservateur qui jouit dâalliés aussi respectables a été rapidement saluée par la Maison Blanche, le FMI, le Brésil, le Chili et la Colombie. Lasso, tout en remerciant ses électeurs, a envoyé en urgence un « salut particulier » à Ãlvaro Uribe, le grand démocrate colombien [16]. Néanmoins, il a fait savoir que, pour sa prise de possession, le 24 mai, il invitera sans sectarisme les présidents Alberto Fernández (Argentine), Andrés Manuel López Obrador (Mexique), Daniel Ortega (Nicaragua), Miguel DÃaz-Canel (Cuba). Reste à savoir si ceux-ci feront le déplacement. En effet sera également de la fête le « président autoproclamé » du Venezuela Juan Guaido.
Guillermo Lasso et Juan Guaido
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En attendant ce jour où il passera le relais à son successeur, LenÃn Moreno, fidèle à lui-même, fait tout pour lui préparer le terrain. Le 22 avril, après deux essais infructueux, il a obtenu de lâAssemblée nationale lâapprobation dâune loi qui rend son autonomie à la Banque centrale dâEquateur (BCE) et lui interdit dâutiliser ses réserves pour financer des dépenses publiques. Il sâest trouvé 86 députés sur les 135 participant à la session, tous en fin de mandat, pour approuver ce début de privatisation.
Maurice LEMOINEÂ
Source: Mémoires des Luttes
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Notes:Â
[1] Sur le premier tour, lire « Le félon, le socialiste, le banquier etâ¦Â » â https://www.medelu.org/Le-felon-le-socialiste-le-banquier-et
[2]Â https://www.rfi.fr/fr/podcasts/journal-d-ha%C3%AFti-et-des-am%C3%A9riques/20210412-%C3%A9quateur-ce-n-est-pas-une-victoire-de-la-droite
[3] A commencer par le scandale du « mensalÃ