Le week-end du 22 mai, le Brésil a assisté stupéfait à la diffusion de la vidéo d’un conseil de ministres tenu un mois plus tôt, le 22 avril, au Palácio do Planalto, siège de la présidence de la République. Cette vidéo, dont la diffusion a été autorisée par le Suprême Tribunal Fédéral, est une pièce à conviction dans l’enquête sur les accusations de l’ancien ministre de la Justice Sergio Moro contre le président brésilien Jair Bolsonaro.
Selon Moro, le président brésilien aurait tenté d’interférer dans des enquêtes menées par la Police Fédérale brésilienne afin de protéger des membres de sa famille.
Outre le ton vulgaire et une quantité considérable de gros mots employés par le président brésilien, Jair Bolsonaro, et ses ministres, la vidéo choque par le ton et le contenu des propos tenus par des représentant.e.s de l’État brésilien.
Elle rend publiques des menaces de ministres aux représentant.e.s du pouvoir judiciaire, aux gouverneurs et aux maires, décrits alors comme « des bandits [1] » et dévoile les intentions anti-écologiques du ministre de l’environnement qui veut profiter de l’inattention générale pour accélérer les plans de déréglementation environnementale et ainsi avancer dans l’empoisonnement des sols et dans l’accaparement de terres protégées.
La vidéo révèle enfin des conflits vis-à-vis de la politique économique à mener pour faire face à la pandémie. D’un côté nous trouvons le plan de relance économique annoncé par le Ministre Général Braga Netto qui prône une réédition de la modernisation conservatrice des années de plomb de la dernière dictature civile-militaire (1964-1985) avec des investissements massifs de la part de l’État. À l’opposé, les pulsions ultra-libérales du Ministre de l’économie Paulo Guedes ne veulent que privatisations, crédits pour les grandes entreprises et « plus de marché ».
Quoique cette vidéo ait été perçue par des partisans du président brésilien et une bonne partie des élites économiques du pays (la bourse brésilienne s’est clôturée à la hausse vendredi 22 mai) comme étant très favorable au président, on y voit également le climat de tension et de désespoir qui plane sur le gouvernement de Bolsonaro. Celui-ci semble être confronté à un conflit politique majeur avec des gouverneurs et des maires, conflit que Bolsonaro évalue comme étant très dangereux pour lui. Le président brésilien le dit alors textuellement : « le bateau [de son gouvernement] navigue », mais il se dirige peut-être « vers un iceberg ».
Pour affronter le naufrage de son gouvernement, le président brésilien Bolsonaro n’a pourtant que la violence comme réponse. Son envie et celui de certain.e.s ministres est d’une part d’étouffer toute opposition politique et d’autre part d’armer la population et éviter « l’installation d’une dictature au pays » (sic). Il n’est alors pas anodin qu’au lendemain de la réunion ministérielle, le gouvernement ait publié une ordonnance (signée par l’ancien ministre de la Justice et aujourd’hui ennemi du gouvernement, Sergio Moro, ainsi que par le ministre de la Défense, le Général Fernando Azevedo) augmentant la limite des achats de munitions dans le pays. Cette mesure vient ainsi renforcer la politique meurtrière de Bolsonaro.
Au-delà du danger sanitaire propre à la pandémie, la paranoïa et la peur qui ont saisi le gouvernement, le président et ses plus fidèles partisans n’annoncent rien de bon pour la période à venir. Cette nouvelle crise ouverte par les accusations de l’ancien juge Sérgio Moro contre Bolsonaro ne cesse de s’approfondir au fur et à mesure que l’enquête sur le président brésilien se développe. Et ajoute une tension majeure dans le pays, si l’on croit à la menace proférée le dimanche 24 mai par le ministre de la sécurité institutionnelle, le Général Augusto Heleno pour qui la poursuite des enquêtes contre le président mènera le pays à une guerre civile.
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Marquée par cette histoire faite de solidarité, Autres Brésils veut alerter sur le danger réel et imminent qui plane sur le pays, ses institutions et ce qui reste de sa démocratie toujours inachevée. Restons ensemble et solidaires avec celles et ceux qui ne cessent de résister quotidiennement dans un pays dont les représentant.e.s étatiques semblent vouloir sombrer dans la barbarie.